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artist : CRASH NORMAL

Release date : March 30, 2012
genres : GARAGE DIY
format : VINYL / DIGITAL
reference : BB043

BB043 – CRASH NORMAL – YOUR BODY GOT A LAND

Source GONZAI par Serlach:

Crash Normal conserve une position atypique dans le milieu garage. Avec ses dix-sept années au compteur, cette entité protéiforme a aussi bien influencé des jeunes pousses françaises que des mauvaises herbes outre-Atlantique sans pour autant arriver aux oreilles du commun des auditeurs.

Le groupe, désormais composé de Jérôme Normal et d’Etienne Belargent – également fondateur d’Inch Allah Records, crache une musique maniaque, chaotique et sexuelle qui recèle une véritable maîtrise d’un idiome distordu, certes codifié mais jamais rance. Moderne, Crash Normal produit une musique pour les corps délurés, pour faire parler la bête hébétée qui est en nous, un rock’n’roll primal génétiquement modifié qui laisse hagard et vidé à force de reverbs qui claquent au fond du cortex.
Avec Jérôme, anti-poseur par excellence, cela faisait deux ans que l’on devait s’asseoir autour d’une bière et d’un magnéto. C’est aujourd’hui chose faite à l’occasion de la sortie de l’excellent « Your body got a land » sur les très recommandables Kill Shaman et Born Bad Records.

Le nom Crash Normal, y’a-t-il un rapport avec le roman de Ballard ?

Non, pas du tout, à la base ça vient de l’affichette que tu as devant ton siège en avion qui t’explique le comportement à avoir en cas de crash. Un jour, avec mon pote Raph avec qui ont formait la première mouture du groupe, on en a volé une. À ce moment-là, on n’avait pas encore de nom et on enregistrait des cassettes équivalentes à trois heures de répètes, que l’on distribuait au hasard dans des boîtes aux lettres de Strasbourg. On sonnait à l’interphone et on partait. Une des jaquettes de ces K7 était un collage à partir de l’affichette. Par accident, le mot « crash » s’est retrouvé à côté de « normal » et ça nous a plu. C’était en 1995.

C’était peu de temps avant le premier album ?

Oui, et ça été très vite, on était vraiment productifs. On s’est trouvé un local que l’on a aménagé… Chacun avait sa clef et on y passait six heures par jour. J’étais à la fac, en licence d’arts plastiques, et mes profs passaient pour voir mes boulots, je n’allais pas en cours (rires). Le nom Crash Normal me plaît beaucoup pour cette idée de collage. Le procédé pour nos répétitions était d’enregistrer des kilomètres de sons pour sélectionner des parties, prendre le couplet du cinquième morceau et faire un refrain à partir du dixième. Après on répétait, on cultivait l’accident.

Tu peux me faire un arbre généalogique du groupe ? Au fil des années, il y a eu beaucoup de changements…

Je vais te faire un court historique… Au départ je suis avec mon pote Raph, on joue par-dessus des films Super 8 avec des guitares par terre, des effets, des boîtes à rythmes. On coupait des films de famille qui n’avaient rien à voir, pour mélanger les histoires de ces inconnus. Là-dessus, mon frère qui jouait déjà de la batterie (Seb Normal, aujourd’hui membre de Feeling of Love – NdA), débarque à Strasbourg et entre dans le groupe. On laisse tomber ce dispositif. Peu après, on intègre Vincent à la guitare et on se retrouve en quatuor. Vincent, Raph et moi, on déménage à Paris sans Seb et on monte un set totalement électro, sans guitare, avec un laptop, des bandes préenregistrées et des pédales d’effets. Les gens venaient à nos concerts et demandaient à quelle heure jouait Crash Normal ; on répondait qu’ils venaient de les voir (rires). Ils étaient un peu déstabilisés.
À ce moment-là, Raph jette l’éponge et Vincent et moi, on monte un trio avec sa copine de l’époque, Delphine, et on reprend la formule guitares/boîte à rythmes. Puis Delphine part, Vincent aussi et je me retrouve à faire mes trucs dans mon coin. Suite à la parution de l’album « Finger Shower », j’ai eu pas mal d’opportunités de concerts à l’étranger, entre autres à Oslo, en Italie, en Grèce et j’embarque ma sœur (Julie Normal – NdA) pour assurer ces dates. Le problème, c’est que de son côté, elle a ses propres activités au conservatoire de Strasbourg où elle se consacre à la pratique des ondes Martenot à haut niveau et elle se voit mal intégrer le groupe sur le long terme…
Enfin, Etienne me contacte pour jouer sur une date qu’il organise. Comme je n’ai pas de batteur, il se propose et une semaine après on tente le coup, on répète et ça fonctionne tout de suite. Là, on a fait un vrai travail de groupe, mais toujours dans le même état d’urgence. On a répété une dizaine de fois et on a fait notre premier concert en duo pour une soirée Gonzaï à la Gare aux Gorilles.

« Je suis totalement incapable d’écrire avec une guitare acoustique. »

Donc la seule personne stable, c’est toi.

Oui, mais ça aurait pu être quelqu’un d’autre. Il se trouve que je tiens Crash Normal à bouts de bras depuis toutes ces années mais j’aime aussi le fait que ce soit un catalyseur, avec des gens qui rentrent et repartent…

D’où t’es venue cette envie de faire ce genre de garage électro lo-fi ?

C’est toujours délicat d’expliquer un cheminement artistique… Ado, j’ai fait mes études à Belfort où la new wave était très importante. Quand tu sortais les soirs de week-end au milieu des années 80, tu avais l’impression que c’était Halloween en permanence (rires). Les cheveux crêpés, les sarouels, les jacobines… tout y passait. J’écoutais Sisters of Mercy, des groupes dans ce genre-là. J’avais un pote responsable des imports vinyls à la Fnac qui avait les coudées franches, et ça m’a permis de découvrir tous ces groupes qui utilisaient des boîtes à rythmes. D’un autre côté, quand on a commencé Crash Normal, j’étais dans une grosse phase blues dégueulasse, ce qui m’a certainement influencé pour les guitares et les voix saturées. J’ai toujours aimé pousser les potards dans le rouge, même si ce n’est pas un gage de qualité. Avec Etienne, les compositions de Crash Normal se font en répétition, et c’est avant tout une histoire de son. C’est très rare que l’on parte d’une structure avec des accords, des paroles et une mélodie, beaucoup de choses proviennent des reverbs, des échos, des distorsions… Dans ce chaos sonore, des textures et des ambiances commencent à apparaître et après, on peaufine. Je suis totalement incapable d’écrire avec une guitare acoustique, le son est pour nous primordial.

Pour votre dernier album, « Your body got a land », qui sort ces jours-ci, vous vous approchez beaucoup de votre son en live où l’on ne perçoit que des bribes de mots et tes textes sont toujours noyés dans le mix. Après avoir lu tes paroles, je me suis rendu compte qu’il y avait souvent des thèmes autour de l’accident, d’un « consumérisme tragique », de bimbos…

Oui, c’est surtout un regard amusé sur les évènements superficiels auxquels nous sommes confrontés. Notre manière d’intégrer les paroles aux morceaux est proche de la perception du public qui les découvre en live. Au départ, il y a une vague ligne de chant que je pose, j’envoie des mots à la volée et ce sont probablement ceux que tu entends en concert. Quand le titre arrive à maturité, j’écris des paroles dont la sonorité est proche des mots qui sortaient spontanément. Sur Easy Girl, le morceau sur la bimbo dont tu parlais, il y a un premier couplet qui fait référence à la scène du Lolita de Kubrick où le héros découvre la jeune fille allongée dans le jardin, qui va baisser ses lunettes de soleil pour le toiser. Le second couplet parle de la mère de Lolita, la vieille femme qui est dans la séduction lascive. La différence est qu’aujourd’hui la mère a des seins en plastique et la tronche refaite et qu’elle veut plaire au mec qui séduit sa fille… Je parle d’anecdotes, de mes références, mais à la fin ça ne transparait jamais dans les morceaux.

Et tu ne te sens pas bloqué dans cette voix hyper-reverbée ? À part toi, personne n’a idée de ce que tu racontes.

Non ce n’est pas grave, on n’a aucune cause à défendre, on ne fait pas de la chanson à textes, la voix est un instrument parmi les autres. D’un point de vue égoïste, j’ai besoin de raconter une histoire pour me créer des images mentales. C’est un peu comme un film qui défile dans ta tête, il y a une forme d’urgence avec ces images qui surgissent. Ça me permet tout simplement d’interpréter les morceaux, de me faire mon propre film.

PageImage 141686 2149469 5627707736 d28da84e26 o CRASH NORMAL ::: Cultiver laccident

Votre musique, c’est aussi beaucoup une histoire de fréquences sonores assez agressives.

Tu as raison de parler des fréquences. Bon, on est très loin de l’agressivité du métal… Peu importe le tempo, même si on part sur un titre lent, on va souvent être sur des médiums aigües. Auparavant, les pédales de distorsion aidaient à la fusion des différents instruments, mais sur le dernier album, j’ai le sentiment que l’on est plus dans la minutie, malgré ce son rêche. Quand tu es dans le milieu garage, tu te mets souvent la pression pour que ça envoie du son, mais sur « Your body got a land » on n’est pas que sur des morceaux qui doivent dégager instantanément.

« En France le truc ricain a toujours plus de gueule… »

En parlant de garage, tu m’as toujours dit que le groupe ne se limitait pas à cette chapelle… Pourtant, par la force des choses, vous êtes en plein dedans, ne serait-ce que grâce aux autres activités d’Etienne (membre d’Inch Allah Records, organisateur de concerts – NdA) et aux connections que vous avez à l’étranger. Est-ce que cet environnement ne vous pousse pas dans une esthétique qui répond à ces codes ?

C’est bizarre, j’ai toujours été fainéant pour ce qui est de théoriser ma musique, de créer une identité, ça ne m’intéresse pas trop… Pendant très longtemps – et c’est toujours le cas – j’ai dit oui à des propositions qui me semblaient sympas, qui allaient me faire changer d’horizon, rencontrer de nouvelles personnes… Et il se trouve que ces gens nous cataloguaient dans la musique garage, mais  plutôt par hasard. Par exemple, si j’étais tombé sur une autre personne qu’Etienne, Crash Normal aurait pu aller dans une toute autre direction, dans un délire plus performance, avec la musique de côté et une présence des corps plus importante.
Il se trouve aussi que le premier 45 tours que l’on a sorti en 1996 a eu un petit retentissement dans la scène garage de la côte Ouest des Etats-Unis, et lorsque l’on a tourné là-bas neuf ans plus tard, je me suis rendu compte avec surprise que tous les organisateurs des concerts chez qui on dormait possédaient ce disque. Les gens me disaient que ce single avait eu une grosse influence dans le milieu parce que personne ne produisait ce son, avec cette brutalité.

Pourtant tu n’as jamais été dans le garage pur ?

Non. À ce propos, j’ai relu l’interview que tu as faite de Cheveu, où Olivier raconte que je leur ai un peu mis le pied à l’étrier en les branchant avec SS Records, suite à un concert à Strasbourg. Ce soir-là, une grosse partie de la scène était présente, il y avait même du catch… Et les Cheveu ont un peu été considérés comme des traitres parce qu’hormis l’énergie garage, ils avaient des synthés pourris dans un ampli, des influences hip-hop, bref, les puristes tiraient la tronche. À l’inverse, je me suis tout de suite retrouvé là-dedans parce que par le passé j’avais déjà été confronté à ce genre de problème dans des festivals, où il fallait beaucoup discuter pour se légitimer. Tu sentais que les mecs ne comprenaient pas vraiment, et puis on n’avait pas les bonnes guitares, les bons looks, on représentait peut-être un petit danger pour la pureté du style…

Vous sortez l’album chez Born Bad, mais j’ai le souvenir que tu me disais ne pas spécialement courir après un label français…

Aux débuts du groupe, je voulais trouver un label français, mais paradoxalement c’est SS Records (label de Sacramento – NdA) qui est venu nous chercher, à une époque où je m’y prenais comme un manche pour trouver des contacts dans des petits labels français qui, de toute façon, n’en avait rien à foutre. Soudain, j’ai eu cinq ou six petites structures américaines qui voulaient sortir le disque… Je n’allais pas continuer à me battre en France, d’autant qu’avec les Américains le deal est rapide et simple. Ils tirent ça à 500 exemplaires, ils font la distribution, ils te filent 20 % du tirage et, une fois le pressage remboursé, c’est fifty-fifty. Après quand tu viens lâcher tes disques dans des magasins en France, les vendeurs retournent le disque et voient SS Records, Kill Shaman, Rococo Records… ils ne vont pas pinailler, ils le prennent parce que c’est américain. C’est un peu une réaction typique, en France le truc ricain a toujours plus de gueule… Si tu rencontres quelqu’un qui te demande où tu as fait ton dernier concert et que te lui répond Toulouse, en première partie de Suicide, il va faire « waouh », mais si tu lui dis que c’était à San Francisco, il va être dingue. Le concert de Toulouse pouvait être meilleur…

Pour le coup, le fait de sortir votre nouvel album chez Born Bad va un peu vous légitimer en France…

Oui, mais comme souvent, c’est lié à une rencontre. Je connais JB Wizz (patron du label – NdA) depuis un moment, mais on était peut-être partis sur des petits malentendus, lui pensant que je ne m’intéressais pas trop à son label et moi qu’il posait une oreille distraite sur nos productions. Quand il a sorti Feeling of Love ça m’a interpelé, j’ai vu l’entité Born Bad s’ouvrir peu à peu. Maintenant, je ne pense pas que Crash Normal va y trouver une légitimité dans la lignée de Cheveu, de Feeling of Love ou de Magnetix, c’est un début de collaboration et non un lancement stratégique que pourrait avoir JB. On a beaucoup échangé avant de sortir l’album, et j’ai découvert quelqu’un de posé, de curieux derrière l’image de rockeur qu’il peut avoir ici ou là. Comme on allait sortir l’album sur Kill Shaman aux US, il a d’abord proposé de le sortir en France et j’ai tout de suite dit OK. Par la suite, et à la différence des labels américains, il y a eu un échange sur l’esthétique de la musique, il fait un vrai travail là-dessus. Pour cet album, les morceaux étaient déjà enregistrés, mais il n’y est pas allé par quatre chemins pour donner son avis et j’ai vraiment apprécié. Il a proposé un autre tracklisting futé, qui sonnait moins attendu de la part de Crash Normal. Il a vraiment une vision de ce qu’il veut entendre, c’est motivant.

Ces dernières années tu t’es entouré de mecs beaucoup plus jeunes que toi, notamment avec toute la clique qui gravite autour d’Inch Allah Records, et tu as produit des titres du premier album de Catholic Spray. Tu es un peu le tonton de la scène ?

Oui, un peu, mais ce sentiment n’a pas duré très longtemps. Les premières semaines où j’ai débarqué dans cette clique, on buvait des bières à la Cantine de Belleville et certains me regardaient un peu façon « mais c’est qui celui-là ? ». Très vite, c’est devenu des pairs et tout le monde a compris qu’il y avait des échanges possibles, que je pouvais aussi leur refiler des petits trucs. Quand j’ai enregistré les Catholic Spray, je pense qu’ils ont été surpris par ma méthode avec des tonnes de câbles qui passent dans des pédales, des micros qui pendent de partout, repris dans une mixette. Ils ont seulement compris l’intérêt du dispositif au stade du mix, quand ils ont vu qu’il y avait plein de pistes de rattrapage qui créent des ambiances. C’est un peu comme réaliser une recette, c’est toujours intéressant de connaître les ingrédients, de les partager.

La suite pour Crash Normal ?

Là, on sort « Your body got a land » mais on commence aussi à réfléchir à un autre line up pour la suite, avec deux synthés, deux micros, une guitare et des rythmes que l’on passera avec un petit magnéto. En concert, il faudra attendre qu’on change la cassette… On a le projet d’un nouvel album que l’on va enregistrer en juillet pour essayer de le sortir en octobre. On va répéter dix jours et pondre cet album dans la foulée. J’aime bien l’idée de coup double, d’occuper le terrain.

Crash Normal // Your body got a land // Born Bad

RELEASED BY KILL SHAMAN in USA