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Jessica93 chez Born Bad, ça va mal finir en beauté, on le sait, mais restons calmes. Geoffroy Laporte, à nouveau seul contre tous, joue solo perché sur une boite à rythmes aux patterns d’avant-guerre du Golfe. Il alterne basse et guitare pour construire des boucles âpres et saturées, sur lesquelles il gueule doucement. C’est là que ça se corse : chaque clan le veut parmi les siens. Grunge, y’a comme un parfum oui, mais Jessica est pas nécrophage. Punk, certes, mais on parle plus de circuit de diffusion que d’identité. Cold wave, question d’ambiance, mais il a ni le matos ni le sérieux. La horde rock, sûre d’elle, l’a entendu chanter les cheveux dans les yeux, et vu jouer de la gratte plutôt que de la guitare…mais il a pas pris sa carte au Parti. Le Metal avait un truc à dire mais personne l’a écouté, à tort. Peut-être est-il temps de lui foutre la paix stylistique des braves, et d’apprécier que Jessica93 a érigé en musique de confort sa recette très personnelle du bouillon de seum. Pour qui l’a vu en concert, on tremble en pensant qu’il se lève le lendemain, et qu’il conduira 300 bornes pour recommencer une sieste plus tard, alors qu’on met une semaine à se remettre de la moitié de la même soirée. Comme tant d’autres soldats inconnus au bataillon de la musique, confinés en banlieue d’eux-mêmes. Pas un hasard si il s’est tatoué un 93 sur le blase, comme l’Underground a tenu à être de Villejuif, comme Noir Boy George était messin plutôt que français, ou Usé d’Amiens plutôt que de bon poil. Au coeur de ce pentacle culturel peint que les Bryan’s Magic Tears et Carine Krinator complètent, Jessica93 a construit un son validé par des années d’errance choisie, du RMI au RSA, des squats à la Station, multipliant les groupes aux noms joyeusement débiles, dans la jungle humide des petits labels. Dans son premier essai, Jessica93 célébrait Omar Little, bandit gay du Baltimore d’HBO.
C’est Porte de Pantin qu’il commence ses 666 tours de périph’, là où bascule Florence Rey, copkilleuse par accident. Geoffroy propose sa fine analyse : ” C’est la police qui nous tire d’ssus / C’est mon trou d’balle qui leur chie d’ssus “, sourire acab en coin, bras croisés comme sa Florence94 à la pommette abîmée. Un précédent disque était marqué par les punaises de lit, celui-ci parle essentiellement d’amour, un fléau délicieux tout aussi dur à éradiquer. Deux diamants noirs pointent sous la pochette délicieusement satanique premier degré. La colline du crack, crève-coeur total sur la tentation ultime des poisons violents. Le refrain génial de cette bluette, ” Prends moi la main et viens avec moi sur la colline du crack “ mettra fin aux rumeurs, presque tout est vraiment faux. Et son Bébé Requin à lui, vraie nécro alternative qu’on écoute en tremblant, chante, en duo-moins-un, ” on kiffe la drogue dure et les ptits chiens “. C’est pour ça qu’on affronte le mur de son sous une bruine de bière, bousculé par des coups d’épaule pas nécessaires : un peu de poésie couleur basalte, pudiquement planquée dans le sarcasme. Le reste du disque démontre le savoir-faire acquis en construction boucle par boucle de ruines plaisantes à squatter ensemble. On y déguste quelques delicatessen classiques de doom-à-vingt-balles, avec de vrais morceaux de métaux lourds dedans, fabriqués avec le soin maniaque typique des faux branleurs. On ne vous en voudra pas si vous n’aviez pas remarqué, mais Geoffroy Laporte chantait déjà parfois en français. Arthur Satàn, qui a produit et mixé chez lui, à Bordeaux, a achevé de lui sortir la tête de la reverb. Et Jessica93 en a profité pour basculer du côté obscur de la langue : ça valait le coup d’attendre, on va enfin pouvoir chanter en choeur “nique sa mère / nique sa grosse mère” . Halory Goerger
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Jessica93, prodigal bastard of our glorious french squat scene, relocated on Born Bad : this is no picnic. Geoffroy Laporte, alone against all odds, alternates bass and guitar to build harsh loops with a drum machine spitting pre-Gulf War patterns. That’s where it gets tricky : every musical posse claims him. Grunge, sure, but Jessica doesn’t indulge in necrophilia. His circuit is punk, he doesn’t dress the part though. Cold wave, the atmosphere fits somehow, but the gear does not. The self-confident rock horde saw him playing with hair in his eyes… but he never joined the Party. Metal had something to say but sadly, nobody listened. Maybe it’s time to give it a rest and let Jessica93 cook his great misery broth on her own, called « 666 tours de périph’ » (666 laps on the beltway). Witnessing Jessica93 live makes you dread that he’ll get up the next morning, drive 200 miles and one nap later kick it again, when it takes us a good week to recover from the bad half of that same evening. Like so many other unknown soldiers during our very own world war of music, he patrols small venues relentlessly. At the heart of this cultural pentacle painted by french weirdos Bryan’s Magic Tears, and Carine Krinator, Jessica93 has built a sound validated by years of chosen vagrancy, birthing bands with joyously stupid monikers, in the humid jungle of small labels. Jessica93’s debut album had a track celebrating Omar Little, HBO’s gay bandit from Baltimore. This story begins on the beltway, where Florence Rey, accidental copkiller turned to political icon of the 90’s. Geoffroy offers his brilliant analysis : ” C’est la police qui nous tire d’ssus / C’est mon trou d’balle qui leur chie d’ssus « (Police shoots us down / my dripping asshole gets the job done). A previous album was haunted by bedbugs, this one is essentially about love, a delicious scourge just as hard to eradicate. Two black diamonds peek out of the LP : ’’La colline du crack’’, heartbreak song about the ultimate temptation of violent delights, located on crackhead central in Paris. The brilliant chorus, ‘Take my hand and come with me to Crack Hill’ will put an end to the rumours, almost everything was really false. And Bébé Requin, alternative obituary that’ll make you shiver, where our nice couple states ‘’on kiffe la drogue dure et les ptits chiens’ (‘we love hard drugs and little dogs’). And that is the reason we face the wall of sound jostled by unnecessary shoulder thrusts: those nice fat chunks of charcoal poetry, hidden under light sarcasm. The rest of the record demonstrates the know-how acquired in loop-by-loop construction of ruins that are pleasant to squat in together. There’s your classic doom delicatessen, with bits of heavy metal inside, crafted with the manic care typical of hard wankers. Arthur Satàn, who produced and mixed the album at home in Bordeaux, helped him get his head out of the reverb safe house. And Jessica93 took the opportunity to switch to the dark side of the language : french at last. Worth the wait ! Sing along : « nique sa mère / nique sa grosse mère » (translate that yourself).
Halory Goerger
(c) photos Titouan Massé