INFOS RELEASES

artist : Various Artists

Release date : December 4, 2013
genres : Spirit Jazz / Protest Jazz
format : CD/ DOUBLE LP / DIGITAL
reference : BB057

BB057 V/A MOBILISATION GENERALE – Protest and Spirit Jazz from France 1970-1976

1968. France société anonyme. L’incendie est déclaré et tout l’immeuble est entrain de s’effondrer. On ne sauvera rien. Des décombres du vieux monde les enfants de Marx et de Coca Cola surgissent pour arracher le bleu et le blanc au drapeau tricolore. Le fond de l’air est rouge et la musique n’adoucira plus les mœurs. Le chantier peut commencer.

Si les Stones, les Who, les Kinks ou le MC5 composent la bande son de la revolution à coups de singles Molotov, ce sont des noirs américains qui ont fait sauter les digues durant les sixties. Contre le jazz à papa et la tradition occidentale Ornette Coleman, Cecil Taylor, Eric Dolphy, Albert Ayler ou Archie Shepp libèrent alors la note, explosent les formats, se lancent dans des improvisations furieuses qui redessinent un territoire sans frontières, aussi spirituel que politique. Avec le free jazz, le saxo devient lui aussi une machine à détruire l’ordre établi.

L’Art Ensemble of Chicago qui atterrit à Paris en 1969 au Théâtre du Vieux Colombier allume une nouvelle mèche. Le quintette intègre au linup traditionnel une multiplicité de « petits instruments » dénichés un peu partout (de la sonnette de bicyclette aux wind chimes en passant par le steel drum, le djimbe ou le vibraphone : rien ne leur échappe) dont ils usent en fonction de leur inspiration. Sur scène le groupe détonne en arborant boubous et peintures de guerre afin de célébrer les pouvoirs d’une musique libre et hypnotique, en connexion directe avec ses racines africaines. La rencontre avec le label Saravah (fondé en 1965 par Pierre Barouh), alors aux avant postes d’une world music qui ne porte pas encore de nom, est évidente. L’album Comme à la radio de Brigitte Fontaine enregistré en 1970 à l’issue d’une série de concerts donnés au Théâtre du Vieux Colombier scelle l’union de cette héritière d’une chanson française, poétique et engagée (Magny, Ferré, Barbara) avec le jazz voodoo de l’Art Ensemble of Chicago et la tradition arabe perpétuée par son compagnon Areski Belkacem.

Un ovni vient de se poser sur les platines des ados français qui découvrent la culture underground via Actuel, Libération, Charlie Hebdo, Rock’n Folk et une free press en pleine ébullition. Une jeunesse qui est de tous les combats : aux cotés des paysans sur le plateau du Larzac, des ouvriers de l’usine Lip, contre le nucléaire à Creys-Malville, la guerre du Vietnam, la peine de mort, les discriminations subies par les femmes, les homosexuels et les immigrés. Faire de la musique quand on a 20 ans au début des années 70, c’est faire de la politique. On ne prend pas un micro pour devenir une rock star mais pour faire avancer ses idées. Tandis que le prix du baril s’enflamme et que Pompidou bétonne à tout va en développant les grands ensembles et en « adaptant la ville à l’automobile », on prend la route pour se réfugier à la campagne. Des communautés qui se forment aux quatre coins de l’hexagone naissent  des groupes (ou plutôt des collectifs) à géométrie variable qui mélangent allégrement musique, happening théâtral et agit prop sous une bonne dose d’acide. Le grand n’importe quoi est souvent de mise (le prog rock est la tarte à la crème de l’époque), mais ceux qui empruntent le sentier dessiné par le spiritual jazz planent vers d’autres cieux. La véhémence (voir la grandiloquence) des propos est alors portée et transcendée par la finesse et l’inspiration du jeu. La France de Claude François n’a jamais entendu ça. À la fois spatiaux, pastoraux et tribaux, les morceaux réunis ici font la jonction parfaite entre un certain héritage psychédélique, le space jazz de Sun Ra et l’Afro Beat qui se met alors en place à Lagos avec Fela, ils sont autant des incantations (l’usage du spoken word est récurrent), des cris de guerre, des poèmes que des tracts.

1978. Giscard est à la barre. Le punk et la disco décapitent les derniers hippies. Si le sang bout toujours, il est déjà trop tard. La guerre est finie, elle a été perdue sans que personne ne s’en aperçoive, et l’on a beau se battre encore contre des moulins à vent, faire parfois parler la poudre et le plomb dans des luttes sans issues (du rêve au cauchemar il n’y a qu’un pas), on sait que la parenthèse enchantée vient de se refermer, que les lendemains qui chantent sont désormais derrière nous et qu’on ne laissera que quelques disques à nos enfants. Le spectre d’un single prophétique peut alors ressurgir des speakers. Brigitte Fontaine y interroge Areski : « Hey mais je pense à un truc, on ne va pas mourir dans une minute ? »

————————————————————-

01. Alfred Panou & Art Ensemble Of Chicago Je suis un sauvage – 1970

Issu de la rencontre fortuite d’Alfred Panou, poète d’origine togolaise (artiste touche-à-tout, ancien élève du cours Simon, aujourd’hui réalisateur) et du légendaire groupe de free jazz américain Art Ensemble Of Chicago, alors en résidence à Paris, ce 45 Tours 2 titres est un disque unique dans l’histoire du jazz français. Relevant plus de la performance artistique que du free jazz, “Je suis un sauvage” est sans doute le premier morceau de Slam enregistré en français. Les paroles à l’humour acide re-visitent la tradition de la chanson contestataire, à travers une sensibilité africaine et afro-américaine.

————————————————————-
02. Areski & Brigitte Fontaine C’est normal – 1973

On ne présente plus Brigitte Fontaine, la plus hors-norme des chanteuses françaises. En revanche, Areski Belkacem, son mari, compositeur multi-instrumentiste de talent et chanteur, reste mois connu du grand public.
Trois ans après le succès du classique “Comme à la Radio”, Areski produit l’album de chansons “Je ne connais pas cette homme” dont est extrait le titre “C’est normal”.
Naïf et impertinent, ce mini-sketch sur fond de flûte et percussions nord-africaines nous prouve la parfaite alchimie du duo allumé-engagé. Aux questions naïves de Brigitte Fontaine, Areski donne des réponses habilement désabusées, mais réellement engagées dénonçant les conditions précaires de logement des immigrés en France.

————————————————————-
03. Atarpop 73 & Le Collectif du Temps des Cerises Attention… L’Armée – 1973

Voici un disque emblématique de la lutte antimilitariste au Larzac. Le mot d’ordre est sans équivoque : “Et toi .. ! Avec ton char qu’est-ce que tu fous sur mon champ ?”. Le ton est donné, le ras-le-bol est général. La jeunesse ne veut plus du service militaire obligatoire, qui, pourtant ramené à douze mois en 1970, est encore vécu comme une privation de liberté. Il faudra attendre 1996, pour que Jacques Chirac alors Président, décide de supprimer le service national.
Sur une ligne de basse hypnotique, soutenue par la tension d’une section de cuivre dont la mélodie n’est pas sans rappeler le “Thème de Yoyo” du Art Ensemble Of Chicago, les musiciens du Collectif du Temps des Cerises accompagné par le collectif Artapop scandent leur haine de l’armée.

————————————————————-
04. RK Nagati De l’Orient à l’Orion – 197?

Ce titre tiré d’un obscur 45 tours du chanteur populaire tunisien Kamel Raouf Nagati, est un OVNI dans sa discographie. Nagati, dont la carrière commence dans les années 60 et qui a connu le succès au Mahgreb avec des titres légers comme “Yasmina” (on lui connaît aussi une reprise de “La Chanson du forçat” de Serge Gainsbourg) est ici brillamment accompagné par le pianiste Siegrieff Kessler.
Écrit et arrangé par ce dernier, “De l’Orient à l’Orion” nous livre un blues céleste au contenu ésotérique sur un fond de spiritual jazz à la française. Impossible de ne pas succomber aux charmes du clavecin électrifié, des solos de saxophone à la Coltrane, ainsi qu’à ceux de la rythmique implacable et du chant débonnaire de Nagati.

————————————————————-
05. Frédéric Rufin & Raphaël Lecomte & Capucine Les Eléphants – 197?

Découvert au hasard d’un vide-grenier, “Capucine” reste le disque plus obscur de cette sélection. Apparemment enregistré par un quartette de musiciens amateurs pour être la bande-son d’une adaptation théâtrale de Kafka, ce disque autoproduit et confidentiel n’a probablement été pressé qu’à une poignée d’exemplaires. “Les Eléphants” est l’unique incursion instrumentale de cette compilation. Les notes de pochette nous apprennent que les auteurs de ce disque s’inscrivent dans une approche “totale” de la musique, sans aucune concession au moindre objectif commercial. Une position que l’on retrouve chez de nombreux artistes de cette selection.

————————————————————-
06. François Tusques & Le Collectif du Temps des Cerises Nous allons vous conter … – 1973

En 1971, le pianiste François Tusques (un pionnier du free jazz en France, alors lassé par la tournure “trop intellectuelle” que prenait cette musique) crée l’Intercommunal Free Dance Orchestra, un groupe composé de musiciens de diverses communautés. Tusques passe à l’action et engage sa musique dans le combat politique et humaniste – à l’instar de ses confrères afro-américains – en collaborant avec des artistes de tous horizons tels que Le Collectif du Temps des Cerises, Colette Magny ou le poète Carlos Andreu. Ce “Chant pour les Travailleurs immigrés” qui fut enregistré lors d’une manifestation en soutien à la mobilisation contre la Circulaire Fontanet* de 1972, met en musique la lutte de ces travailleurs dans un mélange de percussions nord-africaines, de solo funky au piano Fender Rhodes, de fanfare bolchevique et de choeurs contestataires.

*Cette Circulaire visait à obliger les travailleurs immigrés à obtenir un permis de travail pour l’attribution d’une carte de séjour, limitant ainsi les régularisations. Près de 4 travailleurs immigrés sur 5 se retrouvèrent en situation irrégulière … Devant la mobilisation générale cette mesure fut abrogée et l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 entraîna la régularisation de 300 000 étrangers.

————————————————————-
07. Mahjun (Mouvement Anarcho Héroïque des Joyeux Utopistes Nébuleux) Nous Ouvrirons Les Casernes – 1973

Avril 1973. Environ 100 000 personnes viennent manifester sur le plateau du Larzac*. Une poignée de jeunes musiciens rassemblés sous l’acronyme MAHJUN se mêle à cette grande mobilisation populaire. Leur message est clair : “A bas l’armée, bagne de la jeunesse !”.
Ce disque est, donné en bonus avec la publication Lutte Anti-Militariste, journal du Comité Anti-Militariste dirigé par Pierre Halbwachs, ancien résistant et activiste de tous les combats. Encore un témoignage historique, sur fond de free jazz antimilitariste, du ras-le-bol général de la jeunesse vis-à vis du système en place, 5 ans après mai 68.

*A partir d’un simple mouvement paysan (luttant contre l’extension du terrain militaire du Larzac voulu par Michel Debré), s’installe une résistance d’abord locale, puis nationale. De ce mouvement hétéroclite de militants viendra les bases du premier mouvement altermondialiste français. Cette mobilisation sans faille qui durera de 1971 à 1981, obligera François Mitterrand, nouvellement élu, à abandonner le projet.

————————————————————-
08. Full Moon Ensemble Samba Miaou – 1971

“Crowded with Loneliness” ou quand le free jazz rencontre la beat culture ! Ce Full Moon Ensemble, groupe mythique à géométrie variable a compté dans ses rangs Archie Shepp, Jacques Coursil, Burton Greene et est produit par le génial Claude Delcloo, (éminent batteur de jazz, également fondateur des label BYG /Actuel & AKT et de la première version du magasine “Actuel”). Il nous offre ici un disque bien singulier dans l’histoire du jazz français.
Enregistré en 1970 en hommage au poète afro-américain Bob Kaufman (dont les textes ont inspiré la plupart des paroles du disque) cet album mélange harmonieusement les influences jazz spirituel de Pharoah Sanders, la folie créatrice d’un Sun Ra, la poésie de la beat culture et l’engagement politique de ces jeunes musiciens français.

————————————————————-
09.Baroque Jazz Trio Orientasie – 1970

Le BJT est formé par le batteur de jazz Philippe Combelle, le violoncelliste Jean-Charles Capon et le claveciniste/pianiste Georges Rabol, avec une farouche envie de sortir des sentiers battus.
Issu de leur premier 45 tours, le titre “Orientasie” composé par le très prolifique Jean-Charles Capon, nous transporte en quelques notes directement en Asie en passant par le Moyen Orient pour muter en un OVNI musical mêlant des influences baroques, free jazz, et éthniques.

————————————————————-
10. Michel Roques Le Cri – 1972

Michel Roques était aveugle. Tout au long de sa carrière, ce musicien au destin hors du commun, multi instrumentiste, improvisateur hors pair, aura accompagné de nombreuses légendes du jazz (Bud Powell, Johnny Griffin, Dexter Gordon, Georges Arvanitas).
Mais c’est à la tête de son propre quintette, sur l’album “Chorus” mêlant free jazz et poésie, sorti en 1972 sur le label Saravah, que son génie se révélera pleinement. Sur le morceau minimaliste “Le Cri”, Michel Roques à la flûte et Jean-Charles Capon au violoncelle soutiennent à merveille la voix monolithique de Bachir Touré, (ce sénégalais acteur de théâtre et chanteur, connu pour avoir doublé de nombreux acteurs noirs et notamment Sydney Poitier) déclamant une réflexion plus ésotérique que philosophique sur le Temps.

————————————————————-
11. Chêne Noir Hey ! – 1976

Créée à la fin des années 60 et installée depuis 1971 en Avignon dans une ancienne chapelle désaffectée, La Troupe du Théâtre du Chêne Noir, fondée et dirigée par Gérard Gelas, a pour ambition d’offrir à son public des spectacles musicaux iconoclastes et humanistes mêlant le théatre, la poésie, la musique d’avant-garde et le jazz.
Le titre “Hey !” issu de “Chant pour le Delta, La Lune et le Soleil” parait en auto-production, cinq ans après “Aurora”, mythique premier album sorti sur le label Futura. Ce morceau résonne comme une fable cosmique sur la vie, la mort, la société, l’humanité, la justice, la guerre et le 20ème siècle.
Impossible de ne pas succomber à la voix éthérée et sensuelle de la chanteuse/narratrice Nicole Aubiat, à la bande-son envoûtante aux accents spirituels inspirée du jazz de Coltrane et d’être insensible à l’utopie communautaire que le “Chêne Noir” incarne jusqu’à aujourd’hui.

————————————————————-
12. Béatrice Arnac Athée ou A té – 1973

Peu se souviennent aujourd’hui de Béatrice Arnac, comédienne, danseuse, auteur-compositeur, poète, enseignante, metteur en scène et petite-fille de Zo d’Axa (pamphlétaire, anarchiste libertaire de la fin du 19ème siècle) qui a pourtant connu une carrière internationale dans les années 70. En opposition à un monde du show-business dont elle critique la compromission commerciale, elle a enregistré de nombreux albums de chansons engagées reconnus par la critique: “Béatrice Arnac sings with balls” (New York City Village Voice).
Comme pour ce morceau ésotérique “Athée ou A té”, composé par le jazzman et chef d’orchestre Claude Cagnasso (extrait de l’album éponyme sorti en 1973 sur le label Galloway) qui mêle des paroles mystiques, à une mélodie langoureuse sur de riches arrangements pour Big Band.

 

////////////////////////////////////////////////////

 1968. France, Incorporated. The entire building was being consumed by flames and was slowly collapsing. Nothing would survive. Out of the rubble of the old world jumped the children of Marx and Coca-Cola, ripping the white and blue stripes off the French flag. Yet, the socialist revolution was more mythic than real and music did nothing to mitigate people’s behavior. It was time for innovation.

While singles from the Stones, Who, Kinks and MC5 provided an incendiary soundtrack for the revolution, it was Black Americans who truly blew the world from its foundations in the 60s. Ornette Coleman, Cecil Taylor, Eric Dolphy, Albert Ayler and Archie Shepp left behind the jazz of their fathers’ generation, liberating the notes, trashing the structures, diving headfirst into furious improvisations, inventing a new land without boundaries – neither spiritual nor political. Free jazz endowed the saxophone with the power to destroy the established order.

In 1969, the Art Ensemble of Chicago arrived at the Théâtre du Vieux Colombier in Paris and a new fuse was lit. Their multi-instrumentalism made use of a varied multiplicity of “little instruments” (including bicycle bells, wind chimes, steel drums, vibraphone and djembe: they left no stone unturned), which they employed according to their inspirations. The group’s stage appearance shocked as well. They wore boubous (traditional African robes) and war paint to venerate the power of their free, hypnotic music, directly linked to their African roots. They were predestined to meet up with the Saravah record label (founded in 1965 by Pierre Barouh), already at the vanguard of as-yet unnamed world music. Brigitte Fontaine’s album Comme à la radio, recorded in 1970 after a series of concerts at the Théâtre du Vieux Colombier, substantiated the union of this heiress to the poetic and politically committed chanson française (Magny, Ferré, Barbara) with the Art Ensemble of Chicago’s voodoo jazz and the Arab tradition perpetuated by her companion Areski Belkacem.

A UFO had landed on the turntables of French teens, who were discovering underground culture via publications like Actuel, Libération, Charlie Hebdo, Rock & Folk and a vigorous free press. It was a generation ready for any and all combats: alongside farmers on the Larzac plateau and the Lip factory workers; fighting the Creys-Malville nuclear plant, the Vietnam War, the death penalty, discrimination against women, gays and immigrants. For 20 year olds in the early 1970s, making music was a political act; they grabbed a microphone to advance a cause, not to become rock stars. While the price of oil skyrocketed and Pompidou went overboard building horrible concrete apartment buildings for public housing and “adapting the city for the automobile,” some took refuge in the countryside. Alternative communities formed all across France, giving rise to groups (or rather, collectives) with open-minded structures, cheerfully mixing music, theatrical happenings and agitprop, along with a good dose of acid. Projects bordering on the ridiculous were often tolerated (progressive rock was one of the primary banalities the era produced), while those who followed the route paved by spiritual jazz often ended up elsewhere. The vehemence (if not grandiloquence) of their declarations was carried and transcended by the finesse and brilliance of their musicianship. For the “straight” France of Claude François, it was something from another world. Simultaneously spatial, pastoral and tribal, the tracks in this collection represent an ideal intersection between a sort of psychedelic legacy, the space jazz of Sun Ra and Afro Beat (then being created by Fela in Lagos): they are as much incantations (often driven by the spoken word), war cries or poems as they are polemics.

1978. Giscard was at the helm. Punk and disco were busily decapitating the last remaining hippies. Peoples’ blood was still boiling, but it was already too late. The war was over, lost without anyone noticing. Nevertheless, people still tilted at windmills or talked tough in dead-end struggles; a dream is not so far from a nightmare. We knew that an enchanted era had ended, the hope for a brighter future was now behind us and that we would leave behind nothing for our children but a few records. Indeed, ghosts may still crackle from our speakers, as the 45 spins and Brigitte Fontaine asks Areski: “Hé mais je pense à un truc, on ne va pas mourir dans une minute ?” (Hey, I was just thinking, aren’t we going to die in a minute?) 

Clovis GOUX 

Translation : Jonathan von Zelowitz

————————————————————-

01. Alfred Panou & Art Ensemble Of Chicago Je suis un sauvage – 1970

Issu de la rencontre fortuite d’Alfred Panou, poète d’origine togolaise (artiste touche-à-tout, ancien élève du cours Simon, aujourd’hui réalisateur) et du légendaire groupe de free jazz américain Art Ensemble Of Chicago, alors en résidence à Paris, ce 45 Tours 2 titres est un disque unique dans l’histoire du jazz français. Relevant plus de la performance artistique que du free jazz, “Je suis un sauvage” est sans doute le premier morceau de Slam enregistré en français. Les paroles à l’humour acide re-visitent la tradition de la chanson contestataire, à travers une sensibilité africaine et afro-américaine.

————————————————————-
02. Areski & Brigitte Fontaine C’est normal – 1973

On ne présente plus Brigitte Fontaine, la plus hors-norme des chanteuses françaises. En revanche, Areski Belkacem, son mari, compositeur multi-instrumentiste de talent et chanteur, reste mois connu du grand public.
Trois ans après le succès du classique “Comme à la Radio”, Areski produit l’album de chansons “Je ne connais pas cette homme” dont est extrait le titre “C’est normal”.
Naïf et impertinent, ce mini-sketch sur fond de flûte et percussions nord-africaines nous prouve la parfaite alchimie du duo allumé-engagé. Aux questions naïves de Brigitte Fontaine, Areski donne des réponses habilement désabusées, mais réellement engagées dénonçant les conditions précaires de logement des immigrés en France.

————————————————————-
03. Atarpop 73 & Le Collectif du Temps des Cerises Attention… L’Armée – 1973

Voici un disque emblématique de la lutte antimilitariste au Larzac. Le mot d’ordre est sans équivoque : “Et toi .. ! Avec ton char qu’est-ce que tu fous sur mon champ ?”. Le ton est donné, le ras-le-bol est général. La jeunesse ne veut plus du service militaire obligatoire, qui, pourtant ramené à douze mois en 1970, est encore vécu comme une privation de liberté. Il faudra attendre 1996, pour que Jacques Chirac alors Président, décide de supprimer le service national.
Sur une ligne de basse hypnotique, soutenue par la tension d’une section de cuivre dont la mélodie n’est pas sans rappeler le “Thème de Yoyo” du Art Ensemble Of Chicago, les musiciens du Collectif du Temps des Cerises accompagné par le collectif Artapop scandent leur haine de l’armée.

————————————————————-
04. RK Nagati De l’Orient à l’Orion – 197?

Ce titre tiré d’un obscur 45 tours du chanteur populaire tunisien Kamel Raouf Nagati, est un OVNI dans sa discographie. Nagati, dont la carrière commence dans les années 60 et qui a connu le succès au Mahgreb avec des titres légers comme “Yasmina” (on lui connaît aussi une reprise de “La Chanson du forçat” de Serge Gainsbourg) est ici brillamment accompagné par le pianiste Siegrieff Kessler.
Écrit et arrangé par ce dernier, “De l’Orient à l’Orion” nous livre un blues céleste au contenu ésotérique sur un fond de spiritual jazz à la française. Impossible de ne pas succomber aux charmes du clavecin électrifié, des solos de saxophone à la Coltrane, ainsi qu’à ceux de la rythmique implacable et du chant débonnaire de Nagati.

————————————————————-
05. Frédéric Rufin & Raphaël Lecomte & Capucine Les Eléphants – 197?

Découvert au hasard d’un vide-grenier, “Capucine” reste le disque plus obscur de cette sélection. Apparemment enregistré par un quartette de musiciens amateurs pour être la bande-son d’une adaptation théâtrale de Kafka, ce disque autoproduit et confidentiel n’a probablement été pressé qu’à une poignée d’exemplaires. “Les Eléphants” est l’unique incursion instrumentale de cette compilation. Les notes de pochette nous apprennent que les auteurs de ce disque s’inscrivent dans une approche “totale” de la musique, sans aucune concession au moindre objectif commercial. Une position que l’on retrouve chez de nombreux artistes de cette selection.

————————————————————-
06. François Tusques & Le Collectif du Temps des Cerises Nous allons vous conter … – 1973

En 1971, le pianiste François Tusques (un pionnier du free jazz en France, alors lassé par la tournure “trop intellectuelle” que prenait cette musique) crée l’Intercommunal Free Dance Orchestra, un groupe composé de musiciens de diverses communautés. Tusques passe à l’action et engage sa musique dans le combat politique et humaniste – à l’instar de ses confrères afro-américains – en collaborant avec des artistes de tous horizons tels que Le Collectif du Temps des Cerises, Colette Magny ou le poète Carlos Andreu. Ce “Chant pour les Travailleurs immigrés” qui fut enregistré lors d’une manifestation en soutien à la mobilisation contre la Circulaire Fontanet* de 1972, met en musique la lutte de ces travailleurs dans un mélange de percussions nord-africaines, de solo funky au piano Fender Rhodes, de fanfare bolchevique et de choeurs contestataires.

*Cette Circulaire visait à obliger les travailleurs immigrés à obtenir un permis de travail pour l’attribution d’une carte de séjour, limitant ainsi les régularisations. Près de 4 travailleurs immigrés sur 5 se retrouvèrent en situation irrégulière … Devant la mobilisation générale cette mesure fut abrogée et l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 entraîna la régularisation de 300 000 étrangers.

————————————————————-
07. Mahjun (Mouvement Anarcho Héroïque des Joyeux Utopistes Nébuleux) Nous Ouvrirons Les Casernes – 1973

Avril 1973. Environ 100 000 personnes viennent manifester sur le plateau du Larzac*. Une poignée de jeunes musiciens rassemblés sous l’acronyme MAHJUN se mêle à cette grande mobilisation populaire. Leur message est clair : “A bas l’armée, bagne de la jeunesse !”.
Ce disque est, donné en bonus avec la publication Lutte Anti-Militariste, journal du Comité Anti-Militariste dirigé par Pierre Halbwachs, ancien résistant et activiste de tous les combats. Encore un témoignage historique, sur fond de free jazz antimilitariste, du ras-le-bol général de la jeunesse vis-à vis du système en place, 5 ans après mai 68.

*A partir d’un simple mouvement paysan (luttant contre l’extension du terrain militaire du Larzac voulu par Michel Debré), s’installe une résistance d’abord locale, puis nationale. De ce mouvement hétéroclite de militants viendra les bases du premier mouvement altermondialiste français. Cette mobilisation sans faille qui durera de 1971 à 1981, obligera François Mitterrand, nouvellement élu, à abandonner le projet.

————————————————————-
08. Full Moon Ensemble Samba Miaou – 1971

“Crowded with Loneliness” ou quand le free jazz rencontre la beat culture ! Ce Full Moon Ensemble, groupe mythique à géométrie variable a compté dans ses rangs Archie Shepp, Jacques Coursil, Burton Greene et est produit par le génial Claude Delcloo, (éminent batteur de jazz, également fondateur des label BYG /Actuel & AKT et de la première version du magasine “Actuel”). Il nous offre ici un disque bien singulier dans l’histoire du jazz français.
Enregistré en 1970 en hommage au poète afro-américain Bob Kaufman (dont les textes ont inspiré la plupart des paroles du disque) cet album mélange harmonieusement les influences jazz spirituel de Pharoah Sanders, la folie créatrice d’un Sun Ra, la poésie de la beat culture et l’engagement politique de ces jeunes musiciens français.

————————————————————-
09.Baroque Jazz Trio Orientasie – 1970

Le BJT est formé par le batteur de jazz Philippe Combelle, le violoncelliste Jean-Charles Capon et le claveciniste/pianiste Georges Rabol, avec une farouche envie de sortir des sentiers battus.
Issu de leur premier 45 tours, le titre “Orientasie” composé par le très prolifique Jean-Charles Capon, nous transporte en quelques notes directement en Asie en passant par le Moyen Orient pour muter en un OVNI musical mêlant des influences baroques, free jazz, et éthniques.

————————————————————-
10. Michel Roques Le Cri – 1972

Michel Roques était aveugle. Tout au long de sa carrière, ce musicien au destin hors du commun, multi instrumentiste, improvisateur hors pair, aura accompagné de nombreuses légendes du jazz (Bud Powell, Johnny Griffin, Dexter Gordon, Georges Arvanitas).
Mais c’est à la tête de son propre quintette, sur l’album “Chorus” mêlant free jazz et poésie, sorti en 1972 sur le label Saravah, que son génie se révélera pleinement. Sur le morceau minimaliste “Le Cri”, Michel Roques à la flûte et Jean-Charles Capon au violoncelle soutiennent à merveille la voix monolithique de Bachir Touré, (ce sénégalais acteur de théâtre et chanteur, connu pour avoir doublé de nombreux acteurs noirs et notamment Sydney Poitier) déclamant une réflexion plus ésotérique que philosophique sur le Temps.

————————————————————-
11. Chêne Noir Hey ! – 1976

Créée à la fin des années 60 et installée depuis 1971 en Avignon dans une ancienne chapelle désaffectée, La Troupe du Théâtre du Chêne Noir, fondée et dirigée par Gérard Gelas, a pour ambition d’offrir à son public des spectacles musicaux iconoclastes et humanistes mêlant le théatre, la poésie, la musique d’avant-garde et le jazz.
Le titre “Hey !” issu de “Chant pour le Delta, La Lune et le Soleil” parait en auto-production, cinq ans après “Aurora”, mythique premier album sorti sur le label Futura. Ce morceau résonne comme une fable cosmique sur la vie, la mort, la société, l’humanité, la justice, la guerre et le 20ème siècle.
Impossible de ne pas succomber à la voix éthérée et sensuelle de la chanteuse/narratrice Nicole Aubiat, à la bande-son envoûtante aux accents spirituels inspirée du jazz de Coltrane et d’être insensible à l’utopie communautaire que le “Chêne Noir” incarne jusqu’à aujourd’hui.

————————————————————-
12. Béatrice Arnac Athée ou A té – 1973

Peu se souviennent aujourd’hui de Béatrice Arnac, comédienne, danseuse, auteur-compositeur, poète, enseignante, metteur en scène et petite-fille de Zo d’Axa (pamphlétaire, anarchiste libertaire de la fin du 19ème siècle) qui a pourtant connu une carrière internationale dans les années 70. En opposition à un monde du show-business dont elle critique la compromission commerciale, elle a enregistré de nombreux albums de chansons engagées reconnus par la critique: “Béatrice Arnac sings with balls” (New York City Village Voice).
Comme pour ce morceau ésotérique “Athée ou A té”, composé par le jazzman et chef d’orchestre Claude Cagnasso (extrait de l’album éponyme sorti en 1973 sur le label Galloway) qui mêle des paroles mystiques, à une mélodie langoureuse sur de riches arrangements pour Big Band.